Le drame de Millas et le poids psychologique des procès
Le drame de Millas est une blessure profonde et incommensurable. Il ne s'agit pas seulement d'un accident tragique, mais d'une déflagration qui bouleverse toutes les certitudes. Traverser les procès liés à cet événement a été une épreuve que je n’aurais jamais imaginée aussi longue et difficile. Les audiences ne sont pas seulement des moments juridiques, elles sont des étapes émotionnellement dévastatrices. Lors des deux premiers procès, j’ai ressenti une colère vive, une frustration qui ne me quittait pas. Particulièrement lorsque je voyais l’accusée arriver tout sourire, comme si la gravité des faits ne l’atteignait pas. Ce sourire, je l’ai ressenti comme un affront. Une blessure supplémentaire. Elle ne semblait même pas capable de comprendre que les parents, les enfants, ceux qui ont vécu cette tragédie, sont marqués à vie. Cette indifférence me perturbait profondément.
Son absence totale de considération pour nos enfants présents au tribunal a été choquante. Même sans avouer, un simple mot de sa part, un geste de reconnaissance, aurait suffi à faire sentir aux familles que la souffrance n'était pas ignorée. Mais non, à ses yeux, elle semblait être la seule victime de cette tragédie. Les enfants qui sont venus pour témoigner, ou simplement pour entendre ce qui se passait, étaient invisibles. Ils n’avaient pas leur place dans ce récit. Pourtant, ils étaient là, spectateurs malgré eux de la mécanique judiciaire.
Lors du premier procès, j’avais fait un choix, celui de ne rien attendre de cette procédure. Ce n’était pas de l’indifférence, mais plutôt une façon de me protéger, de ne pas espérer quelque chose qui ne pourrait jamais réparer la douleur. Cette posture m’a permis de rester plus sereine. Cela m’a aussi donné la possibilité de me battre ailleurs, en dénonçant, notamment auprès des journalistes, les incohérences flagrantes de la défense. J’ai eu besoin de partager mon point de vue avec ceux qui, sans connaître les détails du dossier, avaient tenté de comprendre ce drame. Cette communication était pour moi une manière de me faire entendre, une forme de reconnaissance. Mais, au fond, ce n'était pas ce que j'attendais de ce procès. Cela ne remplaçait pas ce que je venais chercher : une forme de justice, un soulagement, un geste humain.
Lors du premier procès, un moment m'a particulièrement marqué. L’un des enfants présents à la barre a expliqué que ses propos avaient changé depuis les premières déclarations qu'il avait faites après le drame. Il avait seulement 13 ans à l'époque, et ses témoignages initiaux étaient empreints du choc, du traumatisme vécu. C’est en discutant avec sa famille et en comprenant mieux la situation qu’il a pu se rendre compte que ce qu’il avait dit à ce moment-là n’était pas forcément représentatif de la réalité. En toute honnêteté, il a pris la parole et a expliqué pourquoi il avait changé son témoignage. Ce n’était pas une question de mensonge, mais une réponse dictée par le choc post-traumatique. Ce jeune garçon a été pris à partie par l’avocate de la défense, qui l’a accusé de mentir devant tout le tribunal. Le voir traité de menteur, alors qu’il était une victime tout comme nous, m’a profondément choquée. Comment peut-on manquer autant de respect à un enfant qui a vécu une expérience aussi traumatisante ? Je n'ai toujours pas compris comment on pouvait agir ainsi.
Cependant, le deuxième procès a été tout autre. Dès le premier jour, un malaise profond s’est installé en moi. Le mélange d’énervement et de douleur était presque insupportable. En voyant l’accusée entrer, accompagnée de sa fille, je me suis sentie submergée par l’injustice de la situation. Comment pouvait-elle se tenir là, en famille, alors que moi, je ne pourrai jamais revoir mon fils ? Chaque geste de la défense, chaque parole prononcée semblait chercher à la faire passer pour une victime. Cela a ravivé ma douleur. Mais surtout, il y avait cette sensation d’impuissance qui m’a envahie. Ce procès d’appel n’apportait rien de nouveau. Aucun élément supplémentaire ne venait mettre en lumière une responsabilité partagée. Aucun autre coupable. C’était, encore une fois, une répétition de la même tragédie. J’avais l’impression de revivre un troisième drame. Le poids psychologique de cette épreuve m’a profondément affectée.
Ce sentiment d’inutilité a été un des plus difficiles à accepter. Pourquoi revivre cela, pourquoi recommencer à entendre les mêmes arguments, à répéter les mêmes souffrances, alors qu’il était évident que l’on n’allait pas changer le cours des choses ? C’était une épreuve d’usure, où l’âme se fatigue autant que le corps. Et pourtant, c’était nécessaire. Il fallait que tout soit dit, tout soit fait, même si ça ne changeait rien au fond. Mais chaque jour, chaque session de ce deuxième procès, j’avais l’impression de perdre un peu plus de moi-même. C'était un travail de sape mental. Une torture silencieuse.
Malgré cette lourdeur, je dois admettre qu’il y a eu des moments de soulagement, des petites lueurs dans cette obscurité. L'attitude des magistrats et des avocats des parties civiles a été exemplaire. Leur respect, leur écoute, leur humanité, m'ont apporté un peu de réconfort dans ce chaos émotionnel. Leur présence était un peu de lumière dans une pièce sombre. C’était comme une bouffée d’air frais au milieu de la tempête. Ils semblaient comprendre que derrière cette procédure se cachaient des vies brisées, des parents pleurant un enfant.
Mais à l’opposé, les avocats de la défense se sont montrés plus que méprisants. Leur attitude n’a fait qu’exacerber la douleur, leur indifférence face à notre souffrance, leur volonté de tout minimiser, a ajouté une dimension encore plus cruelle à cette épreuve. C’est là que j’ai ressenti cette impression de théâtre judiciaire, où chacun joue un rôle, avance ses pions, mais où les victimes sont réduites à de simples accessoires dans une mise en scène froide et mécanique. C'est comme si, dans cet échiquier, nous n'étions que des pions sacrifiables, et l'issue de cette partie était déjà écrite avant même le début.
Enfin, cette épreuve m'a également fait prendre conscience des mécanismes psychologiques qui se mettent en place lorsqu'on traverse un drame de cette ampleur. Bien que je ne sois ni psychiatre, ni psychologue, je crois qu'il y a des étapes et des ressources essentielles pour mieux gérer ces moments. Le premier d'entre eux est, à mon sens, la possibilité de parler avec d’autres parents, d’autres victimes. Il est vital de partager son expérience avec ceux qui ont vécu des drames similaires, car cela permet de mieux comprendre certaines réactions et émotions. Bien que parfois cela puisse paraître comme une forme de camisole chimique, certains traitements médicaux peuvent, eux aussi, offrir une aide précieuse pour traverser cette épreuve. Le soutien psychologique est fondamental, et il ne faut surtout pas hésiter à solliciter cette aide.
Je crois qu’il est également très important de s’éloigner des pressions médiatiques et des réseaux sociaux. Personnellement, je n’ai pas su m’en éloigner, ce qui a été une erreur. L’exposition constante à des opinions externes, parfois mal informées, ne fait qu’ajouter à la confusion émotionnelle déjà bien présente. La solidarité, elle, se trouve dans le groupe. Dans les autres parents, dans les familles qui ont traversé les mêmes épreuves. Nous nous retrouvons ensemble dans ce lien invisible, mais puissant, qui nous aide à tenir. Malheureusement, il y a aussi des désaccords et des malentendus, mais il est crucial de les dépasser, d’être là pour les autres et de continuer à communiquer, à se soutenir. Faire une sorte de débriefing avec ceux qui ont déjà vécu ce que l’on traverse permet de trouver des conseils précieux et de se sentir moins seul. C’est un élément essentiel dans cette aventure tragique.
Le sentiment d’être oublié par la justice
Un autre aspect de cette expérience est le sentiment d’être oublié, voire ignoré, en tant que victime. Ce n’est pas un ressenti isolé, il est partagé par de nombreuses personnes ayant vécu des drames similaires. C’est un sentiment difficile à exprimer, mais qui semble persister à chaque étape des procédures. Nous sommes là pour écouter, pour revivre le drame sans pouvoir vraiment réagir, ni poser les questions que nous souhaitons. Tout doit passer par nos avocats respectifs. Bien entendu, il est compréhensible que dans un cadre judiciaire, les règles de procédure doivent être respectées, mais il est essentiel pour les parents de pouvoir s’exprimer, d’avoir la possibilité de poser des questions, d’être entendus au-delà des formalités de la barre.
Certes, la possibilité de parler à la barre nous est donnée et il faut la saluer. Mais en dehors de cela, nous avons le sentiment que ce procès est avant tout un combat entre deux camps, les parties civiles et la défense, avec un arbitre, l’avocat général et les magistrats. Mais où est notre place dans tout cela ? Nous, victimes, où sommes-nous dans ce mécanisme judiciaire ?
Je me souviens d’une situation frappante lors des deux procès : la prévenue a simulé deux malaises, ce qui a entraîné des pauses dans les audiences. Personne ne s’est réellement soucié de savoir si ces interruptions affectaient les victimes. Nous avons dû patienter et même prolonger nos séjours dans des hôtels, attendant la reprise du procès. Pourtant, personne ne nous a demandé si cela nous dérangeait. Cela soulève une question importante : à qui rend-on justice ? Est-ce pour l’État, ou pour les victimes ? Parfois, il semble que si un imprévu ne représente pas un danger pour l’État, on peut tout lui pardonner. Cela me fait penser à l'exemple d'une mère ayant perdu son enfant, et le juge lui disant que la personne qui a tué son fils, un multirécidiviste, méritait une seconde chance. C’est une réalité difficile à accepter.
Le contexte du drame de Millas
Le 14 décembre 2017, le drame de Millas est survenu lorsqu’un car scolaire a été percuté par un TER au passage à niveau numéro 25. Ce terrible accident a fait 23 victimes, dont six enfants décédés et 17 autres gravement blessés. Ce drame a révélé de réels manquements en matière de sécurité dans les transports scolaires. Nous avons appris que la prévenue n’était pas apte à conduire en raison de son manque de professionnalisme et d’expérience. Elle a causé cette tragédie, mais elle n’est pas la seule responsable. Pourquoi ce passage à niveau était-il à cet emplacement, entre deux autres passages à niveau ? Et quelle a été la responsabilité des institutions dans ce drame ? La médiatisation a joué un rôle morbide dans l’affaire, et les réseaux sociaux se sont mêlés de cette tragédie, amplifiant la souffrance des familles.
En conclusion, cette expérience de justice a été un parcours semé d’embûches. La souffrance, l’impuissance et la colère se mêlent à la frustration de ne pas être pleinement écouté ou respecté dans ce processus. Malgré le soutien de la famille, des autres parents et des associations, il reste une question fondamentale : où est la place des victimes dans un système judiciaire qui semble se concentrer davantage sur les accusés que sur ceux qui souffrent véritablement ? Pour les familles, ce chemin judiciaire est bien plus qu’une procédure ; c’est une nouvelle épreuve, parfois aussi traumatisante que le drame lui-même.
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